Homélie du Mercredi des Cendres 2017

« Revenez à moi de tout votre cœur » dit Dieu par la voix du prophète Joël. Et Paul renchérit dans la deuxième lettre aux Corinthiens : « c’est Dieu lui-même qui lance un appel : nous le demandons au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu ! » Nous entrons donc dans un temps de conversion… Et il nous faut demander à Dieu instamment, le demander pour nous même et les uns pour les autres : « Seigneur, comment veux-tu que je vive, comment veux-tu que nous vivions ce carême ? Quel moyen, quel chemin de conversion veux-tu nous voir prendre ? »

Dans l’Evangile, Jésus reprend les bonnes œuvres traditionnelles de la religion juive : l’aumône, la prière et le jeûne (on les retrouve d’ailleurs, d’une manière ou d’une autre, dans toutes les grandes religions). Mais qu’en dit-il ? quel sens leur donne-t-il ?

L’aumône vient en premier : pour Jésus c’est vraiment prioritaire. Le souci de mon frère dans le besoin est le plus important. Vous vous rappelez la scène du jugement dernier, la parabole du Bon Samaritain et tant d’autres textes des Evangiles…

Ensuite, la prière : cela aussi, fait l’objet d’une grande insistance. Vous savez bien tous les passages des Evangiles où Jésus nous recommande de prier le Père sans jamais nous décourager. Vous savez bien le Notre Père, cette prière extraordinaire, unique, dont Jésus nous a fait don…

En revanche, au sujet du jeûne, il faut noter que Jésus n’en nie pas l’intérêt, mais qu’il n’a pas vraiment mis l’accent là-dessus. A côté de Jean Baptiste, champion de l’ascèse, et même à côté des pharisiens, Jésus ne semblait pas très fort sur le jeûne. Et d’ailleurs ses adversaires le lui reprochaient vivement !

Cela dit, Jésus rappelle ces trois pratiques, mais que dit-il de plus ? Quel sens leur donne-t-il ?

Une chose frappe immédiatement : le souci de la discrétion : Avec des images très savoureuse (ne pas faire sonner de la trompette… que ta main droite ignore… ; retire toi dans la pièce la plus retirée…) Et avec ce refrain : « Ton Père qui voit dans le secret te le rendra. » Jésus sait bien que même si nous désirons sincèrement faire le bien, nous avons une tendance naturelle – et une tendance qui revient tout le temps – au narcissisme. Nous avons envie de nous donner en spectacle. Voilà qui nous attire notre attention aujourd'hui, nous qui vivons dans un monde du spectacle, de l’apparence, de l’image... Jésus nous met en garde contre cela.

Mais, ce qui est paradoxal est qu’il a dit un peu plus haut (Mt 5, 14-16) : « Vous êtes la lumière du monde… que les hommes voient vos bonnes actions… » Comme d’habitude, l’Evangile ne doit pas être entendu de manière simpliste. Jésus veut nous apprendre le  discernement : ni enfouissement exagéré, ni attitude de « m’as-tu vu ? »… Quelle est le secret, quelle est la clé de ce discernement ? Cette clé est double : c’est un double décentrement : décentrement vers mes frères, dont je dois me faire serviteur ; décentrement vers le Père, que Jésus m’apprend à aimer de tout mon cœur.

  • Rappelez vous la parole de Paul dans un passage tout proche de notre seconde lecture : « Ce n’est pas nous que nous prêchons, c’est le Christ Seigneur ; nous ne sommes que vos serviteurs… » (2 Co 4,5).
  • Et rappelez-vous qu’au cœur de notre Evangile (sauté par notre lecture liturgique), il y a la prière du Notre Père).

Donc, voilà la clé du discernement : que le centre de gravité de mon action soit cet amour, cette miséricorde du Père à faire passer vers les autres.

Cela dit, la visibilité aussi est nécessaire, comme le disait Jésus au début du Sermon sur la montagne. Mais comme nous venons de le dire, il s’agit de discerner, il s’agit de savoir quelle est ma motivation. Il s’agit de donner la priorité, non pas à l’aspect extérieur, mais à l’intériorité, au sens des choses…

A propos du jeûne aussi, nous pouvons nous demander : quel est le sens de cette pratique ? Remarquons qu’il ne s’agit pas forcément de nourriture : on pourrait aussi – par exemple – jeuner d’informations, de paroles, etc. Dans tous ces domaines, il s’agirait de ne pas avoir une attitude « dévoratrice. » (cf. Laudato Si). Il s’agirait de faire passer d’abord notre relation à Dieu et notre relation aux autres. Il s’agirait de libérer de la place pour s’adresser autrement à Dieu et aux autres…

Notons enfin – toujours à propos du jeûne – l’insistance que Jésus met sur la joie. Une fois de plus nous retrouvons la marque de fabrique de l’Evangile, qui est aussi la marque de fabrique de Jean XXIII et du Concile, et de notre Pape François : l’Evangile, ce n’est pas l’austérité et la grise mine… L’Evangile c’est la joie débordante de celui que se sait un enflât bien-aimé.